La sous-traitance fait par défaut de la société sous-traitée la société de service ?

La sous-traitance, en tant que moyen d’optimiser la rentabilité et de s’adapter à la demande fluctuante de main-d’œuvre, est largement répandue dans l’économie moderne bien que sa mise en œuvre soulève de nombreuses difficultés pratiques. Cet article présente la sous-traitance sous un angle relevant de l’organisation du travail.

La problématique de la sous-traitance en pratique est étroitement liée à la question de la prescription pour les employés sous-traités par laquelle le donneur d’ordre tente de s’assurer du résultat souhaité. Ainsi la sous-traitance se traduit par un fractionnement opérationnel et le manque d’objectifs partagés. Cette situation permet à plusieurs experts d’affirmer que dans certains cas et pour certaines branches plus que les autres, par exemple celle du BTP, la gestion de la prescription peut aller jusqu’à « la dépossession, des pertes de repères » non seulement pour les ouvriers mais aussi pour les dirigeants.

On pourrait penser que la prescription détaillée va éclairer les employeurs sur ce que le salarié doit faire à chaque étape de la production afin de garantir le succès du projet. Mais la prescription fine ne permet pas une maîtrise totale et permanente des aléas d’activité. Et la trop grande prescription réduit les possibilités d’ajustement adaptatif au niveau des employés et de l’équipe managériale. D’autant plus que, dans certains secteurs, la prise de décision et l’exécution des actions prennent souvent place avant même que le diagnostic de la situation ou la résolution du problème ne soient achevés. Sur le chantier, par exemple, il n’est pas rare que la conception de l’ouvrage ne soit pas entièrement réalisée au moment où les travaux démarrent. Elle se prolonge tout au long de la réalisation, le client peut modifier sa demande ou l’architecte concevoir autrement un détail de l’ouvrage en fonction de l’avancée de la construction. La volonté de maitriser à tout prix l’activité en détail mobilisait les ressources destinées au développement de l’activité. Pour éviter la paralysie de l’activité et le désordre, les modes opératoires quotidiens acceptent de ne pas maitriser préalablement toutes les variables, jusqu’à l’absence d’une prescription stricte. Ce type de prescription laisse aux managers des marges de manœuvre pour gérer la variabilité importante des situations courantes. Ainsi l’organisation privilégie l’avancement par tâche au fur et à mesure de ce qui est défini comme un but donné dans des conditions déterminées.
Dans ce contexte, quand la tâche est imposée en tant que cadre extérieur aux salariés qui s’adaptent à elle et l’adaptent à des conditions de travail changeantes, l’organisation du travail joue ici comme un « tamis ». Le client final s’adresse au maitre d’œuvre qui descend des prescriptions sur l’échelle managériale où elles sont adaptées par des instructions appropriées. La relation client-opérateur est amortie par l’organisation du travail qui interprète la demande du client et filtre la relation entre le client et les ouvriers. Chaque instance ne retient de la prescription que ce qui la concerne. Ce mode d’organisation du travail quotidien du « tamis », qui encadre des employés, favorise l’initiative et la prise en charge des variabilités de l’activité et s’appuie également sur la reconnaissance des compétences et des savoir-faire des professionnels. Ainsi des entreprises sous-traitées se transforment par défaut en… société de service ! Les exigences du client pilotent l’entreprise. Vu ce contexte, tout est géré selon les responsabilités de chaque niveau et l’état d’avancement du projet fonctionne par une succession de filtres opérationnels. Chacun à son niveau connaît son métier et dispose des moyens pour le réaliser. En ce qui concerne les salariés sous-traités, en plus de leur savoir-faire strictement technique, ils doivent développer un savoir-faire d’adaptation aux exigences du client final, qui nécessite un haut degré d’autonomie et d’initiative.

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