Le collectif du travail, le conflit de critères et les ressources collectives

Il est communément admis que le contexte collectif du travail permet aux individus d’affronter les épreuves du travail dans les meilleures conditions. Le travail dans un cadre commun avec un objectif commun suppose une entité sociale dans laquelle les opérateurs sont organisés. Pour pousser la réflexion au niveau qualitatif, on distingue « l’équipe » du « collectif ». Dans ce sens, on distingue une collection d’individus exposés isolément et un collectif professionnel qui se traduit par des règles de métier, la reconnaissance des compétences et la confiance. « Le collectif », par rapport à « l’équipe », est une sorte d’union, convoquant ses membres au-delà de leurs capacités individuelles. La présence de ce collectif permet la constitution et le développement d’une équipe qui dure.

Bien entendu cela est évident quand les travailleurs se retrouvent en petits groupes stables, dont les membres se connaissent et ont déjà créé certaines relations mutuelles de confiance, des habitudes de travail communes pour pouvoir avancer le projet commun. Mais cela est beaucoup moins évident dans des conditions de travail individualisé et surtout avec l’arrivée du travail à distance par internet, quand des professionnels travaillent sans connaître leurs collègues, ou dans le contexte d’équipes dont les membres changent souvent. Cela conduit à l’éclatement du collectif et présente un danger pour la transmission et le développement du métier.

Ainsi le collectif n’est jamais donné d’emblée, il est toujours à créer et à maintenir. Selon les principes de la clinique d’activité, qui représente le cadre théorique de cet article, le collectif de travail offre des possibilités d’engagement de soi dans l’activité de travail commun. Faire partie du collectif du travail, pour un individu, signifie donc pouvoir bénéficier des ressources du collectif pour construire sa singularité. Ainsi les activités individuelles peuvent se construire en poussant le collectif dans ses retranchements et permettent de le rendre vivant. Cet engagement de soi dans l‘activité commune et l’interaction intensive entre les membres du collectif sont la base de création du collectif du travail.

Le développement d’activité professionnelle est impossible sans engagement personnel dans la recherche de la meilleure façon de faire. Ce travail de réflexion passe par la capacité d’exprimer, car ce que nous ne pouvons pas exprimer, nous ne pouvons pas non plus le penser. Ce rapport intrinsèque de la pensée et de la langue s’explique par la vision de l’homme qui mène le dialogue pour avancer le métier. Ce dialogue sous-entend des échanges contradictoires aux termes du conflit. Bien entendu, quand on parle de conflit, il ne s’agit pas de conflit des personnes mais de critères. Autrement dit, pour avoir moins de conflits de personnes, il faut avoir plus de conflit de critères sur le sujet : comment mieux faire le travail. La clinique d’activité cherche à utiliser l’énergie créatrice du collectif qui réside dans le développement de la pensée de ses membres à travers « la conflictualité » pour le développement de synergie commune pour le travail « bien fait ».

 

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